Le Père BARON

Le Père BARON

R.P. Louis-Marie Baron o.p. 1897-1983  

Par le Père Ephren Lauzière o.p.

 

« Je suis né le 7 octobre 1897, fête de N.D. Du Rosaire. Cette coïncidence est pour moi comme la preuve de la protection de la Sainte Vierge sur mon existence entière ».

 

         Cette confidence du Père, vers la fin de sa vie, lui fut arrachée par une affection respectueuse et persévérante à laquelle il ne put finalement se soustraire. Bienheureuse insistance, peut-on dire, car le Père fut toujours réservé sur sa vie spirituelle. Bien rares et très courtes ont été ses déclarations à propos de ses plus graves tribulations comme de la nature de ses grâces et de ses joies. A l’occasion du cinquantenaire de la prise en charge de la Revue du Rosaire, il consacra sur ce long passé huit pages seulement de la revue (1979, n° de janvier). Il les intitule: « Quelques souvenirs de ce cinquantenaire » et les agrémente de quatre photographies, deux de 1928 et deux de 1978. Le Père Baron n’a pas laissé de Mémoires. Heureusement reste son œuvre, essentiellement apostolique: elle révèle l’ouvrier, le bon ouvrier qu’il fut au service de Notre-Dame… Servus Mariae, voilà le titre qu’il désirait sur la croix de sa tombe… Serviteur comme nous disons aujourd’hui. Il y a lieu de penser qu’il traduirait comme Saint Louis-Marie Grignion de Montfort : Esclave de Marie.

      

         A Lourdes par exemple quand il s’adressait aux foules des pèlerins du Rosaire (adresse de bienvenue, méditation des mystères, « petits mots » du soir après la procession aux flambeaux) sa voix sonnait clair comme le bronze aussi pur que le cristal, éveillant au meilleur des âmes mille harmonies intérieures. Alors les auditeurs s’enveloppaient d’un silence qui était une prière et pour mieux dire une contemplation. La parole du Père avait, à cette heure, quelque chose des paroles de Notre-Dame qui avait tout gardé et repassé dans son cœur des évènements du salut.

                                                                                                           

La famille : une famille écrasée par la Grande Guerre

 

        Le 7 octobre 1897, à la Flocellière (Vendée), le foyer d’Alexis Baron et de Clémentine Genty s’accroissait d’un troisième enfant, qui reçut les prénoms de Jules, Alexis, Victor. Deux garçons l’avaient précédé. L’aîné de quatre ans plus âgé, le cadet de deux ans seulement. La Grande Guerre – si meurtrière pour les soldats du monde rural – accabla, bien proche de l’anéantissement, cette famille de vrais chrétiens. En juin 1915, le fils aîné est tué sur le front le jour de la fête du Sacré-Cœur : il a 22 ans. Trois mois plus tard, le cadet tombe à son tour : il a 20 ans. Trois mois plus tard, Jules, Alexis, Victor est mobilisé avec la classe 17 : il a 18ans. Trois mois plus tard, le père de famille, mobilisé lui aussi est emporté par la maladie : il a 45 ans. En moins d’un an, madame Baron a perdu son mari, ses deux premiers enfants. Quant au plus jeune, il est aux armées. Et la santé de celui-ci est à ce point médiocre qu’il est rapidement versé au service auxiliaire, ce que l’armée, en ces périodes d’hécatombes ne concédait guère que comme dernier expédient à maintenir sous les drapeaux. Auxiliaire, le jeune soldat deviendra infirmier et sera affecté assez rapidement à une ambulance divisionnaire qui resta des mois consécutifs, spécialement en 1917, en zone de combats. De ce service militaire, le Père Baron reviendra avec un organisme débilité et une dépression cérébrale qui l’affligeront sa vie durant.

 

         Il est démobilisé le 21 avril 1919 et mis en route pour son foyer avec un versement de six francs : il part le lendemain pour Réaumur où sa mère s’est alors retirée auprès de membres de sa famille… Mais en quel état la trouve-t-il ! Depuis quatre ans, elle porte le deuil des siens, frappée au cœur par tant d’infortunes…Elle est malade et gravement depuis quatre ans. Son fils le sait, il l’a embrassée au cours des permissions qui le ramenaient pendant quelques jours près d’elle. Certes la foi chrétienne de cette femme la fait survivre, elle l’a ancrée dans l’invisible. Mais il n’empêche qu’aux armées, son fils est angoissé pour sa mère, pour sa santé et pour sa situation. Il en souffre d’autant plus que le Ciel semblait sourd à ses plus ardentes et filiales prières. En effet, plus il priait Notre-Dame, plus il avançait vers les lignes où la mort rôdait plus dangereusement. La Mère du Ciel ne lui garderait-elle celle de la terre ? Elle la garda : Madame Baron ne mourut qu’en1952, objet de l’affection la plus délicate de son fils devenu religieux. On ne se trompera pas en pensant que le Père a beaucoup découvert de l’âme de Sainte-Marie, Mère de Jésus, à travers la vie de sa propre mère, de sa « vieille et douloureuse maman ».  

 

La vocation dominicaine 

 

         Depuis sa petite enfance, Jules, Alexis, Victor veut devenir prêtre. Pour lui, cette vocation est chose assurée, une évidence qu’on ne discute pas. Aussi bien, tout le monde autour de lui, dans la famille et le village le sait. Ses frères eux-mêmes taquinaient le « futur curé ». Mais le sacerdoce qu’il envisageait, il le vit très tôt dans un ordre religieux à dévotion mariale. Ce devait être l’Ordre de Saint Dominique.

         A cette époque, les communautés religieuses avaient été dissoutes par les fameuses lois laïques. Beaucoup s’étaient reconstituées à l’étranger. En France, il ne restait plus que des religieux isolés, ayant revêtu soutane noire et se liant plus ou moins à une institution du clergé séculier, en vue d’échapper à la surveillance de citoyens « conscients et organisés », hantés souvent jusqu’à l’hystérie par le spectre du « délit de reconstitution de congrégation ».

          Un père dominicain résidait justement dans le voisinage, attaché comme percepteur des enfants de la famille de la Pintière, au château de la Fromentinière, le Père Doucet. L’enfant n’aborda sans doute jamais le Père Doucet qui devait lui apparaître comme un lumineux personnage de vitrail, offert comme modèle protecteur, mais placé aux plus hautes baies de l’église.

          Mais un dominicain devait entrer en relation avec lui, le Père Berchon, aumônier divisionnaire, qui exerça sur lui une influence profonde. « J’étais affecté à une ambulance divisionnaire où se trouvaient plusieurs prêtres infirmiers. Quand les églises n’avaient pas été trop bombardées, les prêtres s’y rendaient pour la célébration de leurs messes, et chaque soir après la soupe il y avait récitation du chapelet suivie de la bénédiction du Saint-Sacrement. Habituellement un prêtre soldat, simplement vêtu d’une l’étole, s’avançait vers l’autel. Mais un soir je vis un jeune prêtre en soutane sortir le Ciboire du Tabernacle. Je fus subjugué par la vive impression de toute sa personne. Son front était aussi auréolé…le soldat se dit en lui-même «  désormais je ne serai plus seul, j’aurai un confident ».

          A quelques jours de là, invité par l’aumônier à venir le voir, l’infirmier fut heureux de venir lui rendre visite. Le Père Berchon fut très bon. «  J’étais enfin, déclarait le Père Baron, sur le chemin de ma vraie vocation ».

          Au cours de ses études secondaires, il avait demandé à Notre Dame avec un camarade, épris comme lui de plus haut service, de lui indiquer le jour venu l’orientation à prendre. Ils attendront tous les deux, abandonnés et confiants, la réponse dont ils étaient sûr. Elle était alors donnée au soldat infirmier Baron.

          Le 11 octobre 1919, dix mois à peine après sa démobilisation, le Père est domicilié à Toulouse. Pourquoi cette venue dans le Sud Ouest ? Les dominicains de la province de Lyon avaient établi en Hollande leur couvent de formation ; ceux de la province de Paris l’avaient fait au Saulchoir, près de Kain en Belgique. Les dominicains de la province de Toulouse formés en Italie ne voulurent pas repartir. Ils étaient venus pour répondre à l’appel des armes, ils resteraient. On sut qu’ils se proposaient d’ouvrir sans bruit un noviciat et un collège théologique sur la province Languedoc Provence. Finalement on ne s’installa pas à Toulouse où en 1215, Saint Dominique avait réuni ses premiers frères. On opta pour une petite ville de Provence de moins de 2500 habitants : Saint Maximin dont le couvent avait une longue histoire. Édifié à partir de 1296 il fut occupé jusqu’à la Révolution Française. Lacordaire l’avait acheté et y avait ramené les jeunes frères de Chalais en 1859, à la fois en raison du climat moins éprouvant que celui des Alpes et du passé romantiquement précieux de Couvent Royal qui avait connu au XVIIe siècle la réforme dominicaine de Michaëlis. On pouvait renouer avec la grande tradition dominicaine. Le Père Lacordaire était fort sensible à ce type de ressourcement.

 

           Il fallait aménager cette demeure trop longtemps abandonnée et transformée depuis 70 ans par les propriétaires successifs : on y consacra des semaines. Et parce que la province de Toulouse avait envoyé depuis un demi-siècle de ses religieux en Turquie d’Asie : Jérusalem, Arménie, ou au Brésil où ils missionnaient parmi les Indiens sur un immense territoire, on se donna comme justification la formation de missionnaires. Le couvent de Saint Maximin était « Séminaire des missions ».

           Le 8 juillet 1920, Jules Alexis Baron recevait l’habit dominicain avec le titre de frère et le nom de Louis-Marie, illustre tertiaire de Saint Dominique de l’apôtre de l’Ouest qui devait être plus tard canonisé par Pie XII le 20 juillet 1947.

           Les restaurations d’ordre religieux sont fréquemment réalisées dans une volonté de revivre les temps originels selon toutes les pratiques primitives. Les Trappistes établis en France et installés nommément à la Sainte Baume par le célèbre abbé de Lestrange étaient un exemple. Les dominicains, en 1859 et en 1920, voulurent vivre dans la ferveur primitive en relevant les observances monastiques dans toutes leurs exigences ascétiques. Ce furent des temps de rigueur et d’austérité pour la nourriture, le sommeil, le vêtement, etc. Le jeûne allait du 14 septembre jusqu’à Pâques, l’abstinence était, sauf dispense, permanente. L’office des matines était récité à une heure du matin et les autres heures ramenaient au chœur au moins cinq fois, fragmentant beaucoup le temps de travail. Au rapport du Père Chasserieau – écho de confidences à lui faites par le Père Baron – le Père Lacomme, un patriarche de célèbre mémoire, maître des novices qui accueillaient ce postulant, n’estima pas avoir affaire à une anémie cérébrale ; il estima qu’avec dispenses largement accordées en ce qui concernait le régime de vie : nourriture, lever de nuit, présence aux récréations après les repas, participation aux réunions, la santé se rétablirait suffisamment pour suivre les études philosophiques et théologiques.

          Le frère Louis-Marie les réussit en effet, mais sur ce point, aucune dispense. « J’ai fait toutes mes études à St Maximin, dira le Père Baron. Les cercles solennels (discussions théologiques ou philosophiques) avaient lieu une fois par semaine et comme les étudiants étaient peu nombreux, c’était toujours aux mêmes que l’on faisait appel… On ne m’a jamais dispensé de l’étude, tandis qu’on m’a accordé d’énormes dispenses en ce qui concerne veilles et jeûnes. J’avais pour compagnon le frère Dominique Desarnauts, jeune docteur en médecine (dont l’épuisement physique et cérébral devait être tel qu’il ne put jamais accéder au sacerdoce faute de possibilités d’études). »

 

          Ils avaient été les deux premiers qui prirent l’habit à Saint Maximin.

 

          Le Père Bonaventure Chasserieau rapporte un épisode très significatif qui eut lieu en 1928. « Le Père Baron était allé à Réaumur prêcher la journée du pèlerinage. Ma mère et ma sœur voulurent y assister. Sous les effets de la lumière, elles virent le Père dans sa robe blanche avec une mine de déterré. Ma sœur se mit à pleurer pensant que je devais avoir la même mine… Pour en avoir le cœur net, ma mère et ma sœur vinrent à Saint Maximin, où elles demeurèrent quelques jours et d’où elles repartirent rassurées sur la santé du frère Bonaventure ». Le Père Baron demeura jusqu’à la fin de santé fragile. Il ne pouvait penser à un ministère de prédication itinérante. Il resta toute sa vie à Saint Maximin où la charge d’aide ou sous-maître du noviciat lui fut imposée, puis, dès septembre 1928, celle de la direction de la Revue du Rosaire lui fut accordée. Car pour cette fonction, nous savons maintenant qu’il y avait pensé depuis plusieurs années.

         A quelques semaines de la fin de ses études, il adressait au Père Lacomme une longue lettre sur ses vues et aspirations d’apostolat marial pour la direction de la Revue du Rosaire. Ces six longues pages, réfléchies, priées sont aussi précises qu’un plan de vol intercontinental pour un pilote! Cinquante ans durant il s’y tiendra avec application. La ténacité et l’assurance d’un artisan au métier éprouvé. 

 

 

 

Sa vocation !… Le Rosaire

 

         Mais l’heure approchait où son rôle dans l’ordre allait se préciser et, du premier coup, se fixer jusqu’à sa mort. Le Père Bernardot, célèbre fondateur de la « vie spirituelle » quitta Saint Maximin pour Paris où il allait créer les Éditions du Cerf. Il emportait la grande Vie Spirituelle. Mais il laissait une petite, une insignifiante publication qui s’appelait la Revue du Rosaire et dont il avait la charge. Le Père Basco raconte comment le tout jeune Père Baron osa se porter volontaire (mais la revue était si petite) et demanda qu’on la lui confia. Il souffrait impatiemment de voir si négligé un tel instrument d’action. Il eut l’intuition de ce qu’il pouvait faire. On la lui confia. On peut vraiment dire qu’il l’épousa, qu’il s’investit tout entier en elle. A vrai dire, c’était un travail qui lui convenait. Il avait besoin d’une tâche précise, complète, et d’une œuvre unique bien à sa portée et pourtant toujours à parfaire, qui fut dans le sens de son âme, de son cœur, disons-le même, de sa passion. Il n’était pas homme à faire beaucoup de choses diverses, à agir partout, à multiplier les entreprises et les relations. Sa santé le lui aurait interdit. Et plus encore son tempérament. Il travaillait lentement, à sa manière, à son rythme, pensant longuement aux choses, les faisant mûrir en lui. Il eut le don de former autour de lui une équipe de collaboratrices exceptionnellement unies entre elles et à lui dévouées : pour elles, la Revue était l’œuvre commune. Et c’est ici l’occasion de dire, comme de sa part, ce qu’il leur devait, lui et son œuvre.

            Mais la Revue du Rosaire, pour lui, ce fut avant tout le peuple invisible de ses lecteurs qui habitait son cœur. Il en connaissait admirablement la psychologie par une sorte de connaturalité. Il s’étendait tous les jours, jusqu’à atteindre à un moment plus de soixante mille abonnés. L’évènement de chaque jour était l’arrivée des lettres des lecteurs. Et c’était bien là pour lui une famille spirituelle qu’il aimait et qui l’aimait.

           

Directeur Général du Pèlerinage du Rosaire   

 

            En 1942, à l’âge de 45 ans, il fut nommé directeur du Pèlerinage du Rosaire. Ses supérieurs avaient bien compris son âme apostolique et quel sens, quel souci il avait du peuple fidèle, de la masse du peuple fidèle partout répandu, auquel il avait toujours cherché à avoir accès par sa Revue. On vit alors apparaître un Père Baron inconnu à beaucoup, un metteur en ordre, un organisateur, un animateur qui, des mois à l’avance pensait chaque détail de l’énorme et complexe entreprise, le moindre des mots qu’il avait à dire. Il la conduisait avec ses qualités terriennes (la grâce ne détruit pas la nature) de bon sens, de réalisme, et certes avec bonne grâce et douceur, mais aussi avec quelle diplomatie et clairvoyance, avec quelle ténacité et quelle indomptable volonté ! Ce lien qui se créa alors entre lui et Lourdes, entre lui et la Grotte avait trouvé dans son cœur une place toute prête pour y prendre racine et l’habiter entièrement. Ce lien était le bonheur de son âme. Et aussi celui que le pèlerinage, devenu national sous sa direction, créait entre lui et ses frères dominicains de toute la France. Mais plus encore avec cette masse de pèlerins, ce peuple fidèle dont, pendant quelques jours il était le rassembleur, l’ami, j’allais dire l’âme. Lorsque, chaque soir du pèlerinage, après la procession aux flambeaux il leur parlait d’une voix prenante qui semblait s’adresser à chacun, en les appelant « frères bien aimés», une sorte de paix et de tendresse se répandait sur la foule qui s’écoulait ensuite silencieuse. On se sentait aimé du fond de ce monde invisible d’où, un jour, Marie apparut à Bernadette. L’âme du Père Baron se livrait là toute entière.

 

Merci, ô Mère !

 

          Au cours de l’année 1982, le Père Baron a voulu concrétiser et perpétuer sa reconnaissance envers Marie. Voici la lettre qu’il écrivait à un prêtre ami : 

          Arrivé au terme de ma longue vie et constatant que c’est la Sainte Vierge qui a tout fait dans mon existence, je ne puis omettre de la remercier avant de quitter ce monde.

          Aussi ai-je résolu de faire placer dans la petite chapelle de Sainte Marie de Réaumur, un ex-voto de reconnaissance. Ce sera pour moi, le moyen de continuer à la faire aimer et à la « prêcher » à tous ceux qui ne cessent de venir prier dans cette chapelle. Sur cette plaque de marbre sera gravé, ce texte que j’ai longtemps médité ces derniers temps :

« Merci, O Mère, vous avez fait le bonheur de ma vie »

Frère Louis-Marie Baron, Prêtre dominicain

 

Le R.P. Baron décède en 1983

 

L’enterrement du Père Louis-Marie Baron à la Sainte Baume

             Mercredi des cendres (16 février 1983).

 

          La Sainte Baume a été heureuse d’accueillir l’écorce d’un grand vivant dans la personne du Père Baron.

          Tout semblait pourtant s’opposer à ce qu’on puisse l’enterrer dans le petit cimetière où reposent déjà le Père Vayssière et le Frère Bramante pour qui le Père Baron avait beaucoup de dévotion.

          Le mauvais temps faisait rage, empêchant toute communication avec le Centre ou le Monastère. Les membres de la Communauté dominicaine étaient absents (même le Père gardien de la Grotte se trouvait à l’hôpital); les pompes funèbres refusaient de creuser le trou en raison du froid et de la terre glacée…

          Mais le Seigneur exhausse celui qu’Il aime, surtout lorsqu’une grâce particulière Lui est demandée par l’intermédiaire de Marie. Le Père Baron désirait vraiment être enterré dans cette terre consacrée à Marie-Madeleine, premier témoin de la résurrection : terre déjà pleine de ciel.

          La tempête ne laissa passer qu’une seule communication téléphonique, celle du Père Labouriau s’inquiétant de ne pouvoir réaliser le vœu du Père Baron. Un jeune frère se trouvait là « par hasard », il put lui-même creuser avec l’aide de Peppone, le maçon du Centre, la tombe de son frère…

          Lorsque le corps du Père Baron fut déposé en terre, la cloche de la Grotte se mit à carillonner et moins d’une heure après, la tempête s’était calmée, laissant place à un ciel pur et limpide, bleu comme un regard de la Vierge.

          Autant de « signes surnaturellement naturels »de la fidélité de Dieu et de la merveilleuse tendresse de Celle par qui le Père Baron a voulu recevoir et communiquer « toutes grâces ».  

          Sur sa tombe, une simple croix, illuminée de l’indication qui résume toute sa vie et son charisme, « servus Mariae ».

          Déjà quelques personnes viennent régulièrement s’y recueillir partageant dans la foi ce que le frère connaît dans la vision.

 

Propos recueillis dans la Revue du Rosaire de mai 1983 « à la mémoire du Père L.-M. Baron ».                                             

(Revue entièrement consacrée à la vie du R.P. Baron)

(extrait de la Revue du Rosaire; archives privées de M.A. Marot, Réaumur).

           

 

 

 

 

Les lettres du Père L.M. Baron     

 

                                                                                             Saint Maximin le 11 juillet 1920

 

Bien chère Maman,

 

                                  C’est avec empressement que je viens vous faire part de mon bonheur.

                                  Je suis enfin revêtu des blanches livrées de la Sainte Vierge, pour toujours,

              pour l’éternité…

                                  Nous avons revêtu l’habit dominicain le 8 au matin vers 9 heures et demie

             après une magnifique grand-messe. Pendant cette messe, je vous avoue, Chère Maman,             

             que mes yeux se sont remplis de larmes, plus d’une fois, et que j’avais beaucoup de peine

             à contenir mon émotion.

                                  Vous étiez tout près de moi, chère maman ; je vous associais de mon mieux

             à ma joie. La grand-messe terminée, toute la communauté s’est rendue à la salle du cha-

             pitre pour la prise d’habit…

                                  Chère Maman, je n’ai oublié personne en ce beau jour. J’avais fait beaucoup

            d’« invitations ». J’étais bien entouré.

                                  J’avais près de moi : Notre Seigneur, la Sainte Vierge, Saint Dominique, le

            Bienheureux de Montfort ; papa et mes deux frères, votre bon ange et celui de tous ceux que

            j’aime. Vous n’avez pas idée de ma joie; cette joie est si forte et en même temps si douce et

            si calme qu’elle n’est pas de la terre, c’est une joie comme celle que l’on doit goûter au ciel.

                                  Vraiment le Bon Dieu a une façon royale de payer les sacrifices que l’on fait

            pour lui.

 

 

 

 

                                                  Ave Maria!                 Le 2 février 1921

 

                                 Oh, chère maman, soyez généreuse. Unissez- vous étroitement à ma vocation.

          Priez pour que je sois un saint religieux, priez surtout pour que je devienne un véritable

          enfant et esclave d’amour de Marie ; avec Marie, j’aurai le secret de faire beaucoup de bien

          aux âmes.

                                 Chère maman, j’envisage ma vie future presque avec effroi ; qu’il faut être

          saint pour convertir les âmes!

                                 Et Dieu ne me refusera jamais sa grâce ; si donc je ne suis pas à la hauteur

          de ma tâche, ce sera ma faute. Oh! Priez pour que je sois généreux, et que je devienne digne

          de ma sublime vocation. Mais si ma vie future a un côté effrayant, elle a aussi un côté plein

          de charme.

                                 Quand je pense que je consumerai mes forces et ma vie au service de la Sainte

          Vierge, à prêcher ses grandeurs, ses bontés, à prêcher son Rosaire, et ainsi à faire régner

          son divin Fils, Oh! Quelle joie, quelle grâce!

                                 Encore une fois, priez beaucoup pour moi, et si parfois mon absence vous fait

          souffrir, offrez cette peine à Jésus et à Marie, pour qu’ils daignent se servir de mon néant

          pour les faire régner dans les âmes.

                                 C’est sur cette pensée que je vous quitte, Chère Maman, et que je vous

          embrasse tendrement et bien affectueusement en Jésus, Marie, Joseph, et Saint Dominique.

 

                                                                                                                              Frère Louis Marie

 

 

Avec mon infinie gratitude…

 

                                                               Bien chers Tous,

 

 

                                A la suite de l’annonce de mes Noces d’Or, parue dans la revue du Rosaire de

          mars, me sont arrivées de partout vos très   nombreuses lettres de félicitations, de vœux,

          d’assurance de prières qui me sont allées au cœur. Lettres pleines d’exquises  délicatesses

          venues d’amis proches, lointains, me rappelant confidences intimes, circonstances émou-

          vantes, évènements inoubliables toujours si présents dans votre mémoire comme aussi à

          mon souvenir plein d’affection.

                                Attentions si touchantes que ces messes offertes à mes intentions!

                               

                                Que de rappels toujours présents quand vous évoquez mes « Petits Mots du

          soir » à Lourdes dans la nuit, après la procession aux flambeaux, en ce climat spirituel de

          votre recueillement et de votre silence qui, au dire de Mgr Théas, était «  la plus belle

          prédication de tout le pèlerinage! »

                                Je voudrais pouvoir remercier chacun individuellement tant je suis ému de

          vos lignes, malheureusement cela m’est matériellement impossible. Mon grand regret est de

          ne pouvoir m’accorder cette douce consolation de l’amitié.

                                Quel cœur, quelle ingéniosité dans l’art d’exprimer vos sentiments et de me

          dire que je vous ai fait du bien. Et votre insistance à m’assurer que je vous ai appris à mieux

          connaître et aimer le Seigneur, sa très Sainte Mère et à vous attacher à la prière de sa

          prédilection : le Rosaire.

                               Rien n’est changé entre nous, demeurons unis par la prière, au plus intime du

         Cœur de Notre Dame.

                               Aller à Jésus par Marie, ce n’est pas faire un détour, c’est prendre un raccourci.

 

                                                                                                                Fr. L.-M. Baron, O.P.

                                                                                                     Directeur de la Revue du Rosaire

                                                                                                     et ancien Directeur Général du

                                                                                                     Pèlerinage du Rosaire à Lourdes.

 

 

Neuvaine préparatoire à la Pentecôte

 

Chers amis,

 

                              … Je suis bien en union de prières avec vous en cette neuvaine préparatoire à la

           belle fête de la Pentecôte. Heureusement, cette envolée vers le ciel nous console de la

           grisaille de la terre. L’Esprit Saint est ce doux consolateur des âmes qui habite en nous.

                             Vous penserez à moi, à la petite chapelle Sainte Marie de Réaumur. Je m’y

           transporte souvent par la pensée. Là, je vous retrouve avec bonheur…

                                                                                                                                  (25 mai 1982) 

 

 Chers parents,

                             … je ne peux vous dire avec quelle intensité j’ai vécu la semaine qui vient de

           s’achever, surtout le dimanche 15 août. Et quand je pense à ce bel ex-voto, que vous avez

           fait placer en mon nom, mon cœur tressaille de bonheur. Je crois même qu’il aura une

           particulière attirance sur les âmes, une attirance merveilleuse pour faire aimer la Sainte

          Vierge et la prêcher. Notre petite chapelle Sainte Marie est un coin de ciel…

                                                                                                                                  (16 août 1982)

Bien chers amis,

                             …Au soir de ma vie, je suis un prêtre heureux; mon cœur est gonflé de bonheur;

           ma robe blanche m’enchante plus que le pourpre des rois. Si j’avais à refaire ma vie, je

           recommencerais pareil et je rentrerais encore dans l’ordre de Saint Dominique, ce « grand

           champ de lys », comme on l’appelle. Ce fut un grand sacrifice pour maman, mais je lui ai

           donné quand même beaucoup de joie… et maintenant, au ciel, elle est comblée de bonheur

           sans fin, avec papa et mes frères…

           « Il ne sera pas trop de toute l’éternité pour dire merci à Dieu et Notre Dame ».

 

Une messe célébrée pour le Père Baron à Réaumur

 

                            Le 19 février 1983, une semaine après le décès du Père Baron, une messe fut

           célébrée à l’église de Réaumur , en présence de sa famille et de ses amis de Vendée. La

           messe fut concélébrée par 12 prêtres des environs en présence d’un grand nombre

           d’hospitaliers de la région et de beaucoup de gens de Réaumur.

 

Voici l’homélie faite par le Père Blancherie, O.P.

       (Responsable du pèlerinage du Rosaire pour la Vendée).

 

                            Vous avez tenu, chers paroissiens de Réaumur, et vous tous, amis du Père Baron,

           à participer à cette Eucharistie, célébrée en sa mémoire. Lorsque sa santé était encore

           bonne, il venait passer quelques semaines, parmi vous, au berceau de son enfance, en cette

          Vendée qu’il aimait tant, où il avait puisé sa double fidélité au Christ et à Notre-Dame, qui

           fut la force de toute sa vie.

                            Vous le teniez en haute estime, et il en était digne. L’ordre de Saint Dominique,

           auquel il appartenait depuis 63 ans, tous les pèlerins du Rosaire qu’il a dirigés pendant 25

           ans, le vénéraient et l’aimaient.

                            Je suis heureux d’être avec vous, et je remercie votre curé de me laisser vous dire

           quelques mots, en tant que dominicain et représentant du Rosaire et de son Pèlerinage.

                            A Dieu seul il appartient de louer, de récompenser son fidèle serviteur. Mais à

           nous, il appartient de méditer l’exemple d’une vie toute donnée au Seigneur, à la Vierge

           Marie et aux autres : Vie donnée jusqu’à l’extrême de ses forces et à son dernier souffle. Or

           un seul mot résume sa vie, sa piété, son action: le Rosaire. Toute sa vie, le cher Père Baron a

           prié et médité le Rosaire, avec foi, conviction et insistance. Toute sa vie, il a vécu le Rosaire,

           parcourant sans jamais lâcher la main de la Vierge Marie, les mystères joyeux, douloureux

           et glorieux du Seigneur. 

                            Il y eut tout d’abord, et toujours en compagnie du Seigneur et de la Vierge Marie,

           les joies de son enfance chrétienne, parmi vos anciens, à Réaumur, puis  celle de son

           adolescence, où sa générosité lui fit répondre de tout cœur à l’appel du Christ: « viens, suis-

           moi ». Son amour de la Vierge Marie ne l’a-t-il pas orienté vers l’Ordre de Saint Dominique,

           à qui fut confiée, plus spécialement, la dévotion du Rosaire ? Il y eut grande joie en lui,

           lorsqu’en 1942, ses supérieurs l’appellent à prendre la Direction Générale du Pèlerinage du

           Rosaire. 1942, c’était le moment des années sombres de la guerre. C’était l’heure aussi d’une

           plus intense prière. Quelle joie également, lorsqu’en 1945, la paix revenue, il put donner au

           rassemblement du Rosaire une impulsion décisive : Impulsion qui fera du Pèlerinage du

          Rosaire, au témoignage des habitués de Lourdes, le pèlerinage le plus priant, le mieux

          organisé de tous : Un exemple pour les autres rassemblements dans la cité mariale. Quelle

          joie pour lui, lorsqu’en1947, il put emmener près de la grotte de Massabielle, les reliques de

         Saint Louis-Marie Grignion de Montfort : Ce grand saint qu’il aimait tant, parce qu’il avait

          contribué, jadis,   à donner à sa Vendée natale, une âme fidèle au Christ et à Notre-Dame.

         N’avait-il pas, au jour de sa profession religieuse en 1921, pris le nom de Louis-Marie,

         choisissant par là même, un saint à imiter et à suivre ? Et ce n’est pas la pluie qui tomba à

         torrent, cette année là, durant tout le Pèlerinage qui altéra sa joie. Ne disait-il pas avec

         humour aux   pèlerins trempés jusqu’aux os, mais rayonnants de prières: « le Père de

         Montfort a si souvent parlé de pénitence, qu’il   désire qu’elle soit vécue à Lourdes, avec

         courage et bonne humeur ». Quelle joie, lorsqu’il put, au cours d’un Pèlerinage où la foule

         était plus nombreuse que d’habitude, réaliser un désir que l’on peut dire inspiré par l’Esprit

         Saint. Voyant les Pèlerins bousculés – et c’était inévitable ; voyant les malades se frayant

         difficilement un passage, il eut l’idée de demander à des brancardiers et à des hommes

         volontaires de se libérer pour aider à canaliser la foule des pèlerins, pour l’orienter, et ainsi

         faciliter l’acheminement des malades et infirmes. Ces brancardiers bénévoles et ces

         volontaires, il les appela –  non sans humour encore – les « commissaires du Rosaire ». Au fil

         des années, il leur confia de nouvelles responsabilités. Grâce à eux, l’ordre et la beauté des

         cérémonies étaient assurés et renforcés. Mais surtout il voulut que ce groupe, aux activités

         difficiles et exigeantes, demeurât relié à l’hospitalité et animé également d’un grand amour

         pour la Vierge Marie: servante du Seigneur. 

 

« Notre-Dame Toujours »!

 

                           Quelle joie, pour le Père Baron, de donner à ces « commissaires du Rosaire »cette

         devise qu’il vivait, lui, intensément pour la gloire du Christ Jésus. Puissent ces « volontaires »

         si nombreux parmi les vendéens, puissent-ils garder et faire rayonner autour d’eux l’esprit du

        Père Baron, leur fondateur ! C’est le même esprit de service, dans la bienveillance, et le souci

        des autres qui donnera plus tard naissance au groupe des Hôtesses du Rosaire.

                           Oui, le Père Baron, en les priant les mystères joyeux du Rosaire ne pouvait pas

        non plus ne pas en vivre les mystères douloureux. Son âme était trop belle, trop noble, pour

        qu’il ne ressentît pas, comme chrétien, comme religieux dominicain, comme prêtre, la

        souffrance d’un monde – le nôtre – englué dans la misère du mal et du péché. « Priez pour les

        pêcheurs » avait dit la Vierge Marie à Bernadette. Prières, pénitence, conversion du cœur,

        voilà ce que le cher Père Baron, pendant ces 25 ans de directeur du Pèlerinage du Rosaire,

        n’a cessé de répéter à Lourdes.

                           Pour que ce message soit bien perçu, tout fut mis en œuvre par lui, pour que

        régnât, à chaque rassemblement qu’il animait, un climat de silence, de paix, de réconciliation

       avec le Seigneur. Qui, parmi les anciens du Rosaire, entre 1946 et 1966, ne se souvient pas,

       avec émotion, des quelques mots que le Père prononçait à l’issue de la procession aux

       flambeaux ? Ces mots sortis de son cœur, modulés d’une voix douce et calme, et remplis

       cependant d’une intense vibration spirituelle, allaient droit au plus intime de chacun. Un

       silence impressionnant s’établissait alors : Profonde correspondance entre son âme remplie de

       Dieu et l’âme du pèlerin. Il rendait sensible à chacun, et sa misère et la miséricorde infinie du

       Seigneur. 

                          Un jour, l’évêque de Lourdes lui écrivit cette phrase: « vous êtes le fils tout petit de

       Notre-Dame ». Et le Père Baron ne s’est-il pas appelé lui-même le «mendiant de Notre-

       Dame». Mendiant, c’est-à-dire : Quémandeur, par l’intercession de la Vierge Marie, de secours,

       de force, de courage, mendiant, par elle, du pardon de son Fils, mendiant de l’Amour de Dieu

       de sa miséricorde, pour lui, certes d’abord, et pour tous ses frères humains, surtout pour les

        pêcheurs. Vivant les mystères douloureux de la Passion du Christ, le Père Baron les a vécus

        jusqu’à la fin de sa vie. Fatigué, malade, vieillissant, mais s’occupant toujours de la Revue du

       Rosaire, il voulait se tenir debout, comme Marie, au pied de la Croix. Douloureux, sans aucun

       doute, mais toujours et inébranlablement confiant en l’Amour de Dieu. Toutes ses peines et ses

       souffrances, il en a fait un sacrifice d’offrande à Dieu, à l’imitation de la Vierge Marie.

                         Il est passé par la Passion, à la suite du Christ, il vient de connaître la mort, mort

       offerte également à la suite du Christ, mais il vient de passer, comme le Seigneur à travers cette

       mort pour déboucher dans la gloire.  « Viens, bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton

       Maître ». Le « mendiant de Notre-Dame », lui qui se voulait pauvre, à reçu la richesse de

       Dieu, lui qui se voulait miséricordieux a reçu la miséricorde, lui qui se voulait, dans la prière,

       intercédant pour les pêcheurs, le voilà maintenant participant à l’intercession si puissante de

       la Vierge Marie , auprès d’elle; le voilà, après sa vie terrestre de 86 années, entré dans

       l’éternelle jeunesse de Dieu.

                           Il a vécu de toute son âme les mystères joyeux, douloureux de son Rosaire, il vit

       désormais avec le Christ et Notre-Dame, les mystères de gloire, seulement entrevus dans la

       méditation sur cette terre.

                          Puisse-t-il nous aider, tous : Vous paroissiens de Réaumur, vous, Hospitaliers, Commissaires et Hôtesses du Rosaire, et nous tous, chrétiens, à prier le Rosaire, à vivre le Rosaire, avec et par Notre-Dame, dans les joies comme dans les peines, pour le vivre un jour dans la gloire que le Dieu de miséricorde prépare aux hommes qu’il aime.

                           Amen!

                                                                                                          (Réaumur le 19 février 1983)